the tour de france
Incredible piece by the best of all sports writers in France today - in Libération. The one and only Jean-Louis Le Touzet (I reproduce the article in extenso, just for my own sake - Libé won't sue me, I've been buying it since I was 14, and even in the US...)
C’est chose entendue que le cyclisme ne se comprend qu’à la lumière de la triche et du dopage et que le Tour, poinçonné par les scandales, se présente comme un vieux ticket de métro. Pourtant, les règles du jeu n’ont pas été modifiées : la duplicité et sa couronne de lauriers sont toujours les grands vainqueurs. Le Tour de France est fait pour donner des héros comme le pommier donne des pommes. Mais c’est un arbre qui donne des coureurs génétiquement modifiés depuis Indurain et l’apparition de l’EPO, cette molécule qui a transformé le sport en spectacle, car ce qui est excellent pour le vélo l’est tout autant pour le rugby ou le football.
Suiveur. La presse sportive n’est au fond pas si éloignée de la presse du cœur. Le lecteur toqué de sport est comme la femme de ménage qui a passé sa journée à frotter les cuivres : elle a besoin qu’on lui raconte des histoires d’amour adultérines sous le mail, à l’ombre des grands ormes. Le suiveur est comme Anatole France : il ne croit plus au ciel mais supporte mal qu’on touche à la liturgie de juillet. La France de juillet est une France en sandales romaines. Ainsi le pied respire mieux. Le Tour, qui s’observe à travers le vitrail d’une église romane, nous démontre chaque jour le délicieux Jean-Paul Olivier, notre Chateaubriand du cyclisme. C’est parce qu’il aime l’inouï dans le grandiose que le suiveur vagabonde à travers le pays avec sa machine à écrire. Le mensonge est moins intéressant que le démontage du mensonge.
Vinokourov s’est-il dopé avec le sang de Léon Tolstoï ? A l’UCI de nous le dire. Le suiveur lui-même a cherché la vérité pendant douze ans. Il a mis une fausse barbe pour enquêter, mais il a été vite démasqué avec sa cape de Fantômas, ses collants noirs et sa cagoule en feutre. Sous la chaleur de juillet, il a plus d’une fois failli perdre connaissance. Le Tour l’a plusieurs fois ranimé, ramené à la vie, et l’a supplié de ne plus recommencer à faire l’enfant. Le petit suiveur a écrit 13 200 fois le nom de Lance Armstrong, 8 797 fois le mot dopage, 243 fois le mot félicité et 54 fois Rasmussen. Il est bien avancé, car le Tour prône maintenant «la révolution».
Myrtilles. Mais que fait l’homme de juillet ? Il s’assied à l’ombre, dans un virage, et mange des chips. Dans une assiette en plastique. Il est sous l’influence du vin rosé et du fromage de tête. Il a le mollet nu. Il est heureux. Que fait la presse ? Elle vient lui parler de coureurs qui trichent à l’heure où il engouffre une tarte aux myrtilles. L’homme de juillet veut regarder les coureurs sur l’asphalte brûlant. Le suiveur restera toujours ce serviteur invisible du Tour, celui qui met la table, la débarrasse et ainsi de suite jusqu’à l’étape suivante. Mais tenter de corriger les dérives du Tour, c’est comme tenter de corriger une faute de grammaire sans en faire trois soi-même dans la même phrase. La machine à fabriquer du rêve fait une fumée bleue et le suiveur au fond de la salle de presse tousse affreusement. Le Tour nous dit que la probité est la base de tout ordre établi. Le Tour prend les Français pour des imbéciles. Le grand parti cycliste est éclaboussé par les scandales. Va-t-il passer ? Ça serait un crève-cœur pour le suiveur qui adore son Tour et ses gros mensonges.
L’empire du Tour ne survivra que s’il réduit le réel à de nouvelles lois, nous disent Messieurs Clerc et Prudhomme, les nouveaux marxistes-léninistes du Tour. Pour autant, on remet toujours le prix Jacques-Goddet au plus lyrique des suiveurs. Mais c’est le prix Feydeau qu’il faudrait remettre. Pour le moment, le Tour essaie de concilier le ciel et l’enfer. Le cyclisme est le dernier sport religieux, et c’est pour cela qu’on lui pardonne toutes ses offenses. Le Tour, cette nature copieuse qui récidive sans cesse et qui pourtant jamais ne lasse.